ancien ministre: Plusieurs autres dossiers devront faire l’objet d’enquêtes

Mohamed El Abed, ancien ministre

Dans un communiqué publié par le ministère public, 3 jours après l’audition des présumés auteurs de corruption, on apprend qu’il a requis des poursuites contre 13 personnes et que  les investigations menées ont permis de saisir plus de 41 milliards d’Ouguiyas dont 29 pour l’ancien président et 9 pour son beau-fils. Quelle appréciation vous faites de ces révélations ?

Mohamed El Abed : L’ampleur des crimes économiques commis durant la période 2008-2019 est telle qu’il était inéluctable que les auteurs de ces crimes répondent de leurs actes devant la justice humaine avant d’en répondre devant celle d’Allah !

Cette première dans notre pays, nous la devons, en grande partie, aux forces de l’opposition démocratique qui n’ont cessé, douze ans durant, de réclamer que lumière soit faite sur la mise en coupe réglée des richesses de notre pays. Le procès qui s’annonce constitue le premier résultat de ce combat et j’espère qu’il sera suivi d’autres et que tous ceux qui ont qui contribué à piller et brader les ressources de notre brave peuple pour satisfaire la boulimie maladive de celui qui avait pris usurpé le pouvoir pour étancher une soif d’enrichissement inextinguible paieront pour les forfaits qu’ils ont commis. Comme tous les mauritaniens, j’espère que plusieurs autres dossiers feront l’objet d’enquêtes parlementaires puis, le cas échéant, d’instructions judiciaires. Je pense notamment à l’opération de changement d’étalon monétaire et à la plupart des gros marchés d’infrastructures.

Par ailleurs, les chiffres que vous citez ne représentent qu’une infime partie des biens frauduleusement soustraits au patrimoine de notre peuple.

C’est au moment où l’opinion commençait à douter que le dossier de la décennie reprend de bouger. Depuis la semaine dernière donc, les présumés auteurs de détournement de deniers publics sous l’ère de l’ancien président sont auditionnés par le Procureur de la République de Nouakchott Sud. Avez-vous le sentiment que la machine judicaire est en marche que la justice sera dite ?

J’espère que nous sommes à un tournant de l’histoire de notre pays et que la justice suivra son cours normal.  

C’est la première fois que cela arrive dans notre pays. Un président de la République et ses hauts collaborateurs sont accusés par une commission d’enquête d’avoir trempé dans la corruption. Pensez-vous que si la justice est dite, la corruption et le pillage de nos deniers publics vont disparaître à jamais ou du moins diminueront sensiblement ? Dans le cas échéant, quelles peuvent en être conséquences du point de vue politique ?

Comme je l’ai dit plus haut, c’est une première dans notre pays et j’espère qu’elle annonce une nouvelle ère dans laquelle la séparation des pouvoirs est réelle et la justice ne subit aucune pression. C’est à ce prix que la gouvernance économique de notre pays pourra être améliorée avec tout ce que cela induit comme conséquences positives en termes de qualité des investissements publics et d’attractivité des investissements privés, notamment ceux directs étrangers.

Je suppose que dorénavant, les gestionnaires publics réfléchiront longuement avant de commettre tout acte de concussion.

La mise en place de la haute Cour de Justice, attendue lors de la première session annuelle de l’Assemblée nationale a été reportée à une date ultérieure voire sine die. Selon vous, est-ce qu’il faut comprendre désormais que les présumés auteurs de détournements seront jugés par la justice ordinaire, alors que jusqu’ici, l’ancien président réclame son audition par la cette haute Cour, se basant sur l’article 93 de la Constitution ?

Comme tous les citoyens raisonnables de notre pays, et ils sont l’écrasante majorité, j’ai toujours dit que les actes pour lesquels sont poursuivis l’ancien chef de l’Etat et certains de ses collaborateurs de l’époque sont des actes qui relèvent de la justice ordinaire et non de la Haute Cour de justice. En conséquence, que celle-ci soit mise en place ou non ne change rien à la question. Toutefois, la Haute Cour est une institution prévue par notre Constitution et elle doit être mise en place dans les conditions et les délais définis par cette Constitution et les textes spécifiques.

Le dossier est activé au moment où la classe politique s’agite pour la tenue d’un dialogue politique inclusif. A votre avis, quelle chance cette initiative a de réussir alors que jusqu’ici, le président de la République ne privilégiait que les concertations avec les acteurs politiques, pris individuellement ? Le pays n’est pas en crise, a même affirmé l’un de ses ministres 

N’importe quel pays a toujours besoin de dialogue et dans le cas de la Mauritanie ce besoin est davantage pressant puisque nous sortons de plus de dix ans d’une gestion autocratique et patrimoniale du pays dont les conséquences catastrophiques sont unanimement reconnues, y compris par ceux qui les qualifiaient, hier, de réalisations exceptionnelles !

On ne peut plus dire qu’il y a une crise politique, mais plutôt une recomposition en cours du paysage politique favorisée par un style d’exercice du pouvoir différent, à bien d’égards, de celui que nous avons connu onze ans durant.

Je crois donc que ce dialogue est le bienvenu et j’espère qu’il sera l’occasion de traiter des différentes problématiques qui ont entravé la marche de note pays vers la démocratie réelle, la bonne gouvernance, la consolidation de l’unité nationale et, partant, le relèvement progressif des différents défis d développement. 
 

Que peut tirer l’opposition fortement divisée lors de la dernière présidentielle et silencieuse depuis, de la tenue d’un tel dialogue ?

L’opposition a toujours été soucieuse de l’avenir du pays et demandeuse de réformes qui consolident la démocratie et promeuvent une saine gouvernance politique, économique et sociale. Or, le contexte d’aujourd’hui, caractérisé notamment par le souci du président de la République d’associer tous les mauritaniens à la gestion de leur quotidien et au façonnement de leur avenir, est bien favorable à des avancées notoires en ces domaines.

Vous avez parcouru la feuille de route concoctée par les partis politiques représentés à l’Assemblée nationale dans la perspective du dialogue. Comment la trouvez-vous ? Quels sont les thématiques qui vous paraissent prioritaires et urgentes à régler ?

Toutes les thématiques figurant dans la feuille de route me semblent prioritaires et urgentes et je crois que le contexte est aujourd’hui fort favorable à des avancées importantes et simultanées dans les différents domaines d’intérêt pour la consolidation de la démocratie et de l’Etat de droit et pour la promotion de la bonne gouvernance qui en sont les deux piliers essentiels. Si les réformes idoines sont définies et mises en œuvre, nous pourrons bâtir sur ces deux piliers un Etat moderne, égalitaire et juste, grâce à des politiques qui résorbent progressivement les disparités sociales et régionales et accordent la priorité à ceux qui ont, par le passé, bénéficié le moins des richesses de leur pays.

Quelle appréciation vous faites du plan de riposte de la COVID et le programme de relance économique concoctés par le gouvernement pendant la crise sanitaire ? Partagez-vous l’avis du bon nombre de mauritaniens qui trouvent leur gestion « non transparente » ? Ont-ils profité aux populations démunies ayant souffert de la pandémie ?

Sur le plan théorique, le plan de riposte à la pandémie COVID-19 et le programme de relance économique me semblent bien conçus, les aspects sociaux et économiques étant intimement liés.  La fragilité de certaines franges de nos populations est telle que l’on ne saurait attendre que les programmes économiques donnent leurs résultats, ce qui justifie certaines des interventions ciblées de l’Etat, notamment à travers l’Agence TAAZOUR.

S’agissant du manque de transparence que certains soulignent, je crois qu’il faut l’examiner au cas par cas et mettre les différentes autorités devant leurs responsabilités afin qu’elles fournissent toutes les explications nécessaires. L’essentiel, selon moi, est qu’une nouvelle dynamique promotrice de la transparence et de la reddition des comptes s’enclenche et je crois que des pas importants ont été franchis en ce sens. Il faut, naturellement, persévérer et traquer tout manquement aux règles relatives à la transparente de la gestion publique et le rôle de la presse et des organisations de la société civile, en la matière, est déterminant. 

Que vous inspire l’« école républicaine » que le président Ghazwani ambitionne d’édifier ?

Notre pays ne pourra relever les différents défis du développement qu’en assurant un enseignement de qualité à tous ses enfants, sans distinction d’origine sociale ou de revenu parental. Miser sur l’école républicaine est donc un impératif et je me réjouis, comme tous les mauritaniens, du fait que le président de la République ait placé la réforme du système éducatif en tête des priorités de l’action public durant son mandat. 

 En tant qu’économiste, que pensez-vous des affaires ou scandales de la BCM et de la NBM?

J’attends d’avoir tous les éléments en main pour fonder mon opinion, mais il me semble, d’ores et déjà, que l’on ne nous a pas tout dit sur ces deux dossiers ! J’ai été l’une des voix qui s’étaient élevées contre le changement d’étalon monétaire en 2018 et contre l’inflation d’autorisation de création d’établissements bancaires dans le seul but d’enrichir certains proches du pouvoir de l’époque et de blanchir l’argent aux origines plus que douteuses qui a circulé à flots durant la période 2008-2019. 

Vous avez assisté au congrès des anciens ministres mauritaniens. On peut savoir pourquoi ? Parce que vous êtes ancien ministre ou parce que vous estimez que cette structure peut apporter quelque chose au pays ?

Parce qu’on m’y a invité au dernier moment et qu’étant poli j’ai répondu à l’invitation ! De plus, je crois que cette structure, qui compte en son sein de grands commis de l’Etat, retraités, actifs ou marginalisés, et de brillants experts en plusieurs domaines vitaux pour le pays, pourra apporter quelque chose à l’Etat.

Comment comprendre qu’en dix ans de règne, la Mauritanie a perdu, selon la CEP, plus de 500 milliards d’Ouguiyas par un tour de passe-passe de ses fonctionnaires, donc de ses fils?

Ça ne s’est pas fait par un tour de passe-passe comme vous dites mais عين اتدك اف عين comme on dit en Hassaniya ! Le premier magistrat du pays, par effraction, avait un objectif précis : transformer toutes les richesses de la Mauritanie en un patrimoine privé pour lui et son cercle proche ! Pour mettre en œuvre son vil dessein,  il a choisi, selon les critères de docilité et d’insensibilité à la sacralité des biens publics, les responsables qui l’ont aidé à piller le pays !

Propos recueillis par Dalay Lam 

Le Calame

جمعة, 19/03/2021 - 14:33