Biram: La page de la présidentielle est tournée

Le Calame : Bientôt trois mois que le nouveau  président  est aux affaires. Quelle appréciation vous faites de cette période ? Pouvez-vous dire  qu’il  est-il sur la bonne voie ? Partagez-vous l’avis de ces nombreux mauritaniens,  aussi bien de la majorité  que  de l’opposition qui  ont l’impression que le nouveau pouvoir avance à pas très lents, qu’il ne communique pas et que le cap n’est   pas encore bien lisible ?  

Biram Dah Abeid : Si je devais m’en tenir à des critères quantitatifs, tels la répression de l'esclavage, l'équité du recrutement à l’intérieur des corps civils et militaires, les nominations des fonctionnaires dans les différents ministères et institutions, je devrais constater le recul, pour ne pas dire la régression.  Les Hratin, Pullarophones, les Soninkoh, Wolof, Bambara et M’aalmine souffrent encore de marginalisation. Néanmoins, nous pouvons noter des avancées  surtout dans le domaine de l'ouverture des médias d’Etat à l'opposition, la disponibilité du gouvernement à entendre la différence. Il en résulte davantage de décrispation sur le front de l'exercice des libertés d’expression et de réunion. En matière de droit des associations, nous subissons toujours la mesure d’interdiction, au motif que notre combat constituerait une atteinte à l’unité du pays. Bien entendu, dans l’esprit du législateur, la préservation de la Mauritanie et sa cohésion passent par l’acceptation, collective, d’un minimum d’injustice, comme fondement de l’ordre et de la tranquillité. En somme, l’on demande aux victimes de l’hégémonie tribale de bien vouloir patienter, un peu, après des siècles de mépris et de souffrance. Nous pensons que nous imposer un tel sacrifice, une fois de plus, n’est ni raisonnable ni tenable.

 
N’avez-vous pas aussi l’impression que l’ombre de l’ancien président continue à planer sur le nouveau président ?

L'ancien président reste une pièce maitresse du dispositif en place au sommet de l’Etat, grâce à son amitié avec l'actuel;  l'influence et les complicités dont il dispose auprès des différents secteurs de décision accentuent la présomption de continuité sans le changement. Si vous voulez mon avis, leur relation - et ses conséquences - ne m’intéresse pas vraiment, tant qu’elle reproduit encore le monopole ethno-tribal sur l'Etat et ses symboles, la force légitime et l’encadrement de l’économie.  

Comme les autres leaders de l’opposition, vous avez eu à rencontrer le président Ghazwani. Quelle impression vous a-t-il laissée ? Quelle suite  a été réservée à cette audience, depuis?

Le président Ghazouani m'a donné l'impression qu'il saura éviter la guerre mécanique contre ses opposants et l'instrumentalisation de la justice. Sur les questions de fond qui affectent la vie et la mémoire des mauritaniens – inégalité, racisme, système de castes, fanatisme religieux, écologie - il parait privilégier la lenteur et la réflexion, au détriment des ruptures audacieuses.  Le président Ghazouani n’est pas pressé et souhaite satisfaire tout le monde. J’entrevois, dans cette attitude, un danger pour le pays. Le temps de l’amabilité est révolu et il faut trancher sous peine de périr entre les gravats.  Toutefois, je garde l’espoir suscité par cet entretien, malgré le défaut de suite concrète. Peut-être que le Président nous surprendrait par des réformes fortes en début de mandat….sans trop y croire, je le souhaite pourtant. 

Le président  Ghazouani  vous a-t-il dit  ce qu’il  compte  faire au terme de ses rencontres avec  les leaders de l’opposition ? Si oui, pouvez-vous  nous le dévoiler ?

Non le président Ghazouani ne m'a pas édifié sur cet aspect mais sa réponse était positive, prompte et ferme sur la levée des interdictions de partis, d’associations et des poursuites, à caractère partisan. 

Après les audiences au Palais, quelques leaders de l’opposition ont été vus à Chinguetti  auprès du président de la République. Quelle signification  pouvez-vous donner à cette présence ? Vous n’y avez  pas été invité?

Je n'ai pas été invité à Chinguetti et tant mieux. Néanmoins, la présence de personnalités de l'opposition à cette cérémonie va dans le bon sens de la détente souhaitée.

 Revenons à la présidentielle du 22 juin.  Comme les autres candidats, vous aviez rejeté  les résultats. En répondant aux invitations du président élu, on peut dire que vous  avez  tourné cette page?

Oui cette page est tournée, pour le moment. Le pays a besoin d’avancer. Si je revois le président de la République, je lui parlerais du retour de la Mauritanie à la Cedeao, un retour entier, non au titre d’un accord d’association jusqu’ici dénué d’application. En attendant, nos compatriotes en Afrique de l’Ouest, vivant sur notre sol, subissent nombre de tracasseries. De même, je plaiderais la ratification des Statuts de Rome portant création de la Cour Pénale Internationale (Cpi) et l’adoption d’une loi pénalisant le crime d’atteinte grave à la nature, pour dissuader l’abattage des arbres, le pillage de la mer, la pollution du sol et l'utilisation de produits très nocifs comme le mercure et la cyanure dans sur les sites des mines d'or par des sociétés étrangères jouissant d'une extrême complaisance, comme Kinross. Je ne renonce, non plus, à la volonté de rétablir, dans une école publique de qualité, l’enseignement des langues étrangères, notamment le Français, oui, en conformité à notre environnement géopolitique. L’usage d’une seule langue abrutit et prédispose à mettre l’esprit critique en congé perpétuel. Imaginez la force de persuasion, la prise de conscience et l’élan de l’émancipation si tant de jeunes hratin découvraient, dans le texte, les auteurs de la revendication humaniste, héritiers de la Grèce, de Rome et du matérialisme dialectique ! Je dis et le répète, rien au noyau de la culture de leurs maîtres, ne les prédispose à s’élever vers l’égalité. Ils doivent chercher le souffle salvateur, dans d’autres expériences humaines, loin de chez nous. C’est pour cela que le système tente de les maintenir à distance du savoir libérateur. Enfin, j’entretiendrais le Président de la pertinence à rétablir nos relations diplomatiques avec le Qatar. La Mauritanie a besoin d’amis, à l’étranger, disposition qui suppose une certaine neutralité. La guerre du Yémen et les querelles de préséance au Moyen Orient ne doivent déterminer notre politique extérieure. Ici, une correction s’impose. 

Au lendemain de cette présidentielle, on a assisté à une espèce de cacophonie sur le dialogue. Nombre d’observateurs n’ont pas compris pourquoi  le  président Aziz, à moins d’un mois de son départ du palais et qui  a jusqu’ici opposé un niet à tout compromis sur l’organisation des élections locales de 2018  et de la présidentielle de 2019, décide de vous envoyer une délégation  pour explorer les voies et moyens d’organiser  un dialogue. Pouvez-vous nous expliquer les raisons ? 

Je connais mes raisons à ce dialogue, pas celles du président Mohamed Ould Abdelaziz.

N’y avait-il pas une volonté de diviser l’opposition et ses candidats qui avaient affiché une unité ferme durant toute la campagne et jusqu’au lendemain de la présidentielle?
Non, j’en doute, car le pouvoir n'a aucune difficulté à activer cette discorde, quand il le souhaite. Et d'ailleurs, durant et après la campagne, l'opposition n'était pas si unie…

Ne pensez-vous pas, comme le croient certains que le fait d’avoir  accepté, en ce moment précis,   de rencontrer  une  délégation de l’UPR, comme d’ailleurs  l’annonce prématurée de votre candidature  a  porté un coup à l’unité de l’opposition ?
Non, je ne le pense pas. L'opposition n'a jamais été aussi forte et présente qu'au moment où mes amis et moi décidions d'entrer dans l'arène. Je vous rappelle que ma candidature coulait de source, après une première compétition en 2014, contre Ould Abdel Aziz. Il n’y avait donc rien de « prématuré ».

 
Savez-vous  pourquoi l’opposition qui cherchait un candidat unique  ne vous a pas choisi?
L’opposition traditionnelle en Mauritanie reste la cousine consanguine du pouvoir : de part et d'autre, l’on retrouve la même élite des groupes hégémoniques qui se coopte suivant les codes de l’inceste. Ce personnel se porte querelle dans presque tous les domaines mais s’avère connivent quand il s’agit de résister à la subversion sociale que nous incarnons, mes camarades et moi. 

 Quels rapports vous entretenez aujourd’hui avec la CVE et ses leaders ?
Aucun mais sans hostilité, de ma part du moins,  je vous rassure. 

Après près de 4 mois  de détention, les détenus de Lekseiba viennent d’être acquittés par le tribunal de Kaédi. Que répondez-vous à ceux  qui vous accusent, vous et la CVE d’avoir mal géré le dossier et que le  gouvernement en a fait ce qu’il a voulu ?  Qu’avez-vous  concrètement  fait  pour  les familles  avant leur libération ?
Je ne suis pas au courant de telles accusations nous concernant dans ce dossier. Mais je préfère que vous posiez la question à leurs familles et eux ; vous seriez alors édifiés sur le rôle éminent de l’Ira. 

L’ancien président 0uld Abdel Aziz vient de présider une réunion du comité provisoire chargé de gérer l’UPR. Une réunion au cours de laquelle il a déclaré que le parti c’est lui. Que vous inspire cette sortie et pourquoi en ce moment précis?
Je pense que les relations entre l'actuel président et son prédécesseur ont toujours été solides et le demeurent. L’ancien jouit toujours de sympathies substantielles dans le commandement de l’armée et de l’administration centrale, qui entoure son successeur. En ce sens, l'UPR est une fabrication de Mohamed Ould Abdelaziz. S’il se vérifie qu'il y a différence de trajectoire et d’ambition entre les deux hommes (ce dont je doute fort), la majorité écrasante des membres de ce parti ne manquerait de glisser, sans états d'âmes, du côté du détenteur du pouvoir au présent. 

Dans une interview au quotidien sénégalais Le Soleil, Ould Ghazouani a déclaré que ‘’dire que la Mauritanie est un pays esclavagiste est une contre-vérité.’’ Êtes-vous vous d’accord avec cette affirmation ?
En effet  j'ai lu le propos où le président Ghazouani nie la réalité systémique de l'esclavage en Mauritanie, au prétexte que l’Etat n’institutionnalise la pratique, par les lois, comme si, d’ailleurs, un tel choix était possible de nos jours. Je veux lui répondre : en effet, la Mauritanie n'institutionnalise pas l'esclavage au travers de textes du droit moderne, mais le pays corrobore, tolère et enseigne, y compris dans des écoles publiques, la légitimation, la codification et la sacralisation des inégalités à la naissance. Le principe de la référence constitutionnelle à la Chari’a, comme principale source du droit, consacre la sacralité de manuels où l’on apprend, aux mauritaniens, d’une génération à la suivante, que des personnes peuvent être achetées, vendues, abusées sexuellement, louées et exploitées sans salaire. Il n'est un secret pour personne qu'en République Islamique de Mauritanie, la chari’a se confond à la version locale du rite malékite, dont le contenu organise, dans le détail, la relation du maitre à ses serviteurs. Pour nous, il s’agit bel et bien d’un code négrier. Pire, encore, le 9 juin 2017, les députés adoptaient un projet de loi « sur la pénalisation de la discrimination » dont l’article 10 punit, d’amende et de prison, tout « discours contraire et/ou hostile au rite malékite ».  Que vont faire le chef de l’Etat et sa majorité, de cette loi scélérate ? 
Autre objection au président de la République Islamique de Mauritanie : les magistrats chargés de dire la loi, ont toujours pris fait et cause en faveur des auteurs d'esclavage, comme le prouve le terme prévisible de chaque plainte. Dernière en date, l'affaire de la fillette de 14 ans Ghaya Maiga, remise à ses bourreaux par le juge d'instruction Ethmane Ould Mohamed Mahmoud. Devant l’acte de blanchiment et de recel du crime d'esclavage, dénoncé par moi-même et mon ONG IRA-Mauritanie, le syndicat des magistrats monte aussitôt au créneau pour s'en prendre à nous et nous menacer de poursuites!!! Ces juges sont tous formés à l'école juridique du malékisme, pétris de solidarité clanique et de sentiment de supériorité sur les noirs, ce qui ne les empêche d’afficher une piété démonstrative. Pour eux, la religion reste le moyen de domination le plus sûr, exactement à l’inverse du Prophète Mohamed (Psl), révolutionnaire puis réformateur.

Propos recueillis par AOC et DL

خميس, 28/11/2019 - 20:32