Bala Touré: Nous sommes en opposition avec le mode actuel de gestion de l’Etat

venez de lancer le Sursaut Populaire Démocratique (SPD), un nouveau mouvement dans l’arène politique. Quels sont les raisons quoi vous ont poussé à mettre en place ce mouvement ? Pourquoi un mouvement et non un parti politique ?

Bala Touré : Au lendemain de sa prise de fonction, le président Ghazouani a vite fait de rencontrer les principaux leaders de l’opposition mauritanienne auxquels il a tenu des promesses fortes évoquant la création de conditions favorables à la tenue d’un dialogue national inclusif en vue de trouver des solutions consensuelles aux questions épineuses du pays. Nous avons appris tout cela de Biram, nous en avions pris acte parce que c’était notre souhait de voir les mauritaniens se parler afin d’arriver au règlement des problèmes qui empêchent une réelle unité nationale dans le pays. Malheureusement, le temps passe et nous ne voyons rien venir ; les mêmes pratiques persistent si elles ne s’accentuent pas. Les mauritaniens attendent encore la rupture promise. Et même si la pandémie de la COVID 19 a touché le pays, elle ne doit pas servir de prétexte à la mal gouvernance ; les milliards collectés pour la riposte ont été très mal gérés, dilapidés. A côté de cela, on peut ajouter la récurrence des violations des droits de l’homme et la confiscation des libertés, les manifestations pacifiques sont interdites et souvent réprimées. Face à cette situation, nous pensons que l’opposition politique doit tout simplement s’opposer au régime et exiger des autorités qu’il soit mis fin à ces agissements graves au lieu de les cautionner – ce que nous avons vu notre ami Biram faire. Applaudir tous les actes posés, les soutenir alors qu’en réalité, rien de significatif n’est fait. Tenez, même la reconnaissance du parti RAG ne s’est pas faite. Pourquoi ? Alors que nous échangeons et collaborons ensemble. Pour quelles raisons devrons continuer à applaudir ce régime ?

D’ailleurs, il n’a échappé à personne que l’intervention du député Biram a été plus élogieuse que celles de ses collègues de la majorité présidentielle suite à la présentation par le premier ministre du bilan de l’action gouvernementale à la dernière session de l’assemblée nationale. Nous pensons que cela pose problème. Il s’y ajoute la manière de gérer le parti et de composer ses structures. La propagande de notre ami a voulu en faire notre principale pomme de discorde, mais la vérité est que nous ne nous entendons plus sur le positionnement par rapport au régime actuel. Nous ne pouvons pas continuer à fermer les yeux et croiser les bras pour nous faire mener en bateau. Et puisque nous ne sommes pas prêts à aller à la retraite de sitôt, donc à abdiquer, nous avons décidé, avec d’autres camarades, de mettre sur pied un mouvement politique. Il appartiendra aux militants aux cours des assises nationales que nous tiendrons en été de décider de la forme et de l’avenir de notre formation. Toutes les options seront débattues dans quelques mois et la position définitive arrêtée. Les délégués qui seront issus des quarante-six départements du pays feront de ce projet ce qu’ils estimeront correspondre le mieux à leur vision de la Mauritanie.

 

Vous appelez à un sursaut populaire démocratique. Est-ce à dire que la situation du pays est critique ?  Si oui quel projet de société alternatif le SPD ambitionne-t-il pour la Mauritanie?

 La récente sortie du ministre de l’intérieur selon laquelle la Mauritanie n’est pas en crise pour organiser un dialogue politique national prouve combien ceux qui nous gouvernent sont déconnectés de la réalité que vit le peuple mauritanien. La crise est là, elle est grave et multiforme ; l’écrasante majorité des mauritaniens a faim, ils se soignent et font enseigner mal leurs enfants ; les violations des droits de l’homme continuent de belle et tous les lourds dossiers hérités des années de plomb restent pendants et entravent tout projet d’édification de notre unité nationale. C’est la raison pour laquelle nous appelons à un sursaut populaire pour faire comprendre aux autorités que l’écrasante majorité des populations du pays est en désaccord avec les actes qu’elles posent. Le régime actuel est de plus en plus minoritaire et doit par conséquent, en tirer des leçons pour prendre des mesures correctives et urgentes.

 

Dans votre déclaration, vous avez affirmé que le SPD n’est ni de l’opposition, ni de la majorité alors que votre discours ressemble beaucoup à celui de l’opposition. Que reprochez-vous aux uns et aux autres et comment allez-vous pouvoir tenir cette posture d’équilibriste alors que beaucoup de mouvements et de partis ont échoué ?

Nous sommes en opposition avec le mode actuel de gestion de l’Etat sans que cela fasse que nous appartenions à l’opposition politique actuelle. C’est celle-là notre posture. Notre petite expérience en politique nous a appris que dans notre pays, il y a des partis constitués de communautés spécifiques, il y a d’autres ayant essayé de faire cohabiter, comme le stipule la loi, les différentes composantes du pays. Mais, à y regarder de près, les différents groupes et responsables ne font que défendre les intérêts de leur groupe tribal, ethnique et même régional ; pire, ils se regardent en chiens de faïence. Comment dans ces conditions peut-on élaborer un projet de société porteur d’espoirs pour les citoyens et construire un pays où les citoyens auront réellement le sentiment d’avoir les mêmes droits ? Les responsables du SPD se sont connus sur le terrain de l’activisme, ils ont appris à se connaitre et à se faire confiance. Nous sommes aujourd’hui décomplexés, chacun de nous est capable de faire porter à lui seul toutes nos revendications, nous avons dépassé les considérations sectaires et sommes prêts pour bâtir une Mauritanie pour tous ses fils. Vous me direz que c’est de l’utopie, moi, je vous répondrais que l’avenir de la Mauritanie en dépend et que c’est un challenge que nous comptons réussir. Nous voulons créer une organisation de mauritaniens, non celle de représentants des différentes composantes du pays.

 

Le nom de Bala Touré est lié à Ira Mauritanie et à RAG, mouvement et parti politique non reconnus par les autorités. Faudrait-il comprendre, qu’en créant le SPD, vous avez tiré un trait sur le militantisme au sein de ces organisations ? Si oui, que leur reprochez-vous ?

J’ai été surpris d’apprendre que j’ai démissionné d’IRA Mauritanie, il n’en est rien, et pour cause, hier, jeudi, j’étais sur le terrain en mission pour cette organisation.

Par rapport au parti RAG, je dirais que nous avons des divergences sérieuses portant sur le positionnement par rapport aux autorités actuelles. Comme pour IRA, j’ai appris sur les réseaux sociaux que j’ai été remplacé par un autre camarade. On enlève qui on veut, on place qui on veut ; cela témoigne de la manière cavalière et légère de gérer ce parti, on ne respecte aucune règle, aucun texte, en un mot aucun ordre.

 

Quel est justement  l‘état de vos rapports avec le président Biram Dah Abeid ? On dit qu’ils sont exécrables. Le confirmez-vous ? Vous ne regrettez pas aujourd’hui ce compagnonnage ?

Mes relations avec Biram n’ont pas atteint ce niveau de dégradation ; loin s’en faut. Certes, nous ne communiquons plus, nous ne voyons plus depuis quelques mois parce que tout simplement, nous divergeons sur la ligne politique à suivre. Je vous dirai que je ne regrette pas le cheminement que nous avons eu ensemble car nous avons ensemble fait avancer la question des droits de l’homme en Mauritanie. Nous avons fait bouger les lignes, mais aujourd’hui, nous divergeons sur le positionnement vis-à-vis du pouvoir en place. 

 

La question de l’esclavage et du passif humanitaire a longtemps été au cœur de votre combat au sein d’IRA. Comment SPD va désormais les prendre en charge?

 Notre position ne va pas changer pas par rapport à la question de l’esclavage et au dossier douloureux des exécutions extra-judiciaires des années de braise. Nous allons continuer à accompagner les ayant droits (veuves et orphelins), les rescapés de ces violations graves des droits de l’homme. Nous privilégierons la recherche de solutions consensuelles à travers un dialogue permanent entre les différentes parties. Tout le monde semble être disposé pourvu qu’il y ait une volonté politique réelle de régler définitivement tous les épineux dossiers pour refermer les plaies. L’histoire récente du monde nous a donné des exemples réussis de règlements de lourds passifs issus de périodes d’exception. Nous mauritaniens pouvons aussi le réussir.

 

Dans votre déclaration rendue publique à l’occasion du lancement de votre Mouvement, vous avez affirmé que le président Ghazouani a échoué, il n’a pas tenu ses engagements, les violations droits de l’homme et des libertés, la corruption et l’expropriation des terres sont monnaie courante. Pis, vous avez ajouté que les mauritaniens qui espéraient beaucoup de son élection ont déchanté, que la rupture tant espérée n’est pas arrivée. Vous n’êtes pas tendre avec le successeur de Ould Abdel Aziz ?

Vous vous souvenez sans doute des fameux engagements du président Ghazouani lors de la campagne pour les dernières présidentielles. Aujourd’hui quand on se hasarde à en faire le bilan, force est de se demander si le président de la République ne les a pas oubliés. La situation socio-économique est désastreuse ; à côté des violations des droits de l’homme et de la confiscation des libertés, on a enregistré la hausse des prix des produits de première nécessité, venus assommer les citoyens fortement affectés par les conséquences de la pandémie de la COVID 19. Aujourd’hui, les mesures prises pour faire baisser les prix n’ont pas eu d’effets. A l’arrivée, les mauritaniens qui avaient placé un grand espoir sur les promesses du président Ghazouani ont fini de déchanter, ils ne se reconnaissent plus dans l’action gouvernementale. Vous êtes journaliste, faites un tour à Nouakchott et à l’intérieur du pays, vous verrez que les mauritaniens sont désespérés.

Enfin, dans ses engagements, le président avait promis d’apporter des solutions idoines à la problématique de l’emploi. En plus d’une année, le Ministère de l’emploi, de la jeunesse et des sports reconnait la création de 500 emplois, bien que moins de 300 sont à ce jour réellement effectifs. Le site du ministère nous apprend le pays compte 17000 diplômés chômeurs et que chaque année, plus de 50000 nouveaux diplômés arrivent dans le marché de l’emploi. Au rythme actuel de création d’emplois et à condition qu’il n’arrive plus de diplômés chômeurs dans le marché de l’emploi, il faudrait au moins 5 siècles pour résorber le chômage dans le pays.

                                                         

Propos recueillis par Dalay Lam

خميس, 25/02/2021 - 17:46