Mauritanie: deux événements de la crise interraciale racontés

Le manifeste du Négro-Mauritanien opprimé :

En 1986, dix après la première secousse interraciale, d’autres cadres poulo-toucouleurs dont certains étaient lycéens lors des événements de 1966 s’organisent dans la clandestinité et décident de raviver la flamme de la discorde. Ainsi le premier noyau des FLAM est né. Comme baptême du feu, ils rédigent un nouveau pamphlet et l’intitulent : « Le manifeste du Négro-mauritanien opprimé » qui s’inscrit dans la droite ligne de son ancêtre le « manifeste des 19 » et reprend le credo du militantisme négro-mauritanien des premières heures. Les FLAM attestent cette continuité et déclarent que la lutte continue : « Les préoccupations contenues dans ce manifeste étaient les mêmes que celles de l’Union des Originaires de la Mauritanie du Sud (UOMS), lorsque ce mouvement se manifesta, en août 1957 pour défendre les intérêts de la communauté noire opprimée par la collusion Français-Arabo-Berbère » .

‘’Le manifeste du Négro-mauritanien opprimé’’ est distribué à Addis Abeba en marge d’un sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine.

Son contenu même plus développé ne se départit pas de la ligne nationaliste poulo-toucouleur avec cependant d’amples arguments donnés en pourcentage afin d’illustrer l’exclusion des Noirs de la vallée par « le système beïdane » qualifié de raciste. Et de préciser que « les craintes formulées dans le ‘Manifeste’ n’ont jamais été prises en considération par les régimes beïdanes qui, au contraire, se sont évertués à satisfaire les revendications culturelles et économiques respectivement des intellectuels et de la bourgeoisie-compradore arabo-berbères »  Donc, la résistance, y compris par la force, s’impose à tous les Noirs opprimés.

Contrairement aux évènements de 1966, ce deuxième coup n’avait pas provoqué de remous et de frictions intercommunautaires.

En toute banalité ses dirigeants seront jugés publiquement et condamnés à des peines allant de six mois à cinq ans de prison.

 

Le putsch manqué des officiers poulo-toucouleurs :

Ils étaient de jeunes officiers peuls et toucouleurs. Certains d’entre eux étaient d’origine sénégalaise. Avant cette date, le recrutement dans l’armée était sans entraves, les chiffres des officiers, sous-officiers et hommes de troupes impliqués dans cette tentative le prouvent. Rien que les officiers étaient au nombre de cinquante, et il était même avancé par certains que les soldats noirs constituaient le gros des troupes. 

Il faut dire que la tension couvait. Encore à cette date, la Mauritanie était sous un régime d’exception, et l’accès au pouvoir était par voie de coup d’État. Le premier de la série était en juillet 1978, dirigé par le chef d’État-major le colonel Moustapha O. Mohamed Saleck et jouissait d’un large consensus au sein de l’armée y compris parmi les officiers supérieurs poulo-toucouleurs. Le mobile de cette action était la fin de la guerre et le retrait de la partie du Sahara occupée par la Mauritanie deux ans auparavant.

La tentative des officiers poulo-toucouleurs, elle, était d’une autre nature, elle était purement ethnique, intimement liée aux événements précédents : les heurts de 1966, à la crise du « Manifeste du Négro-mauritanien opprimé » et aux incidents de 1979 relatifs à la circulaire 002 du mois d’avril 1979 du ministère de l’Enseignement fondamental qui avait élevé le coefficient de l’arabe et des matières en arabe. 

Comme dans les années soixante-dix, quand les jeunes maures formés en langue arabe faisaient leur entrée dans l’administration et « devenaient des concurrents pour leurs compatriotes du Sud » , l’arrivée de nouvelles promotions d’officiers et de sous-officiers de la même ethnie consécutive à la guerre du Sahara pour grossir les rangs de l’armée était une perspective inquiétante pour les ethnicistes négro-mauritaniens qui allaient perdre le contrôle de l’armée comme ils avaient perdu celui de la Fonction publique.

Le rush arabo-mauritanien sur l’armée était donc à stopper net avant qu’il ne soit trop tard, d’où « le complot visant à renverser le régime en place ».

Le projet de la prise de pouvoir par la force avait été dénoncé avant exécution, ses auteurs arrêtés et jugés par la Cour spéciale de justice. Trois officiers étaient condamnés à mort et le reste des conjurés à des peines de prison, avec travaux forcés pour certains d’entre eux.

Ely O. Sneiba

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أربعاء, 16/06/2021 - 17:52