Le chartisme ou la poussée ouvrière  

Parmi les facteurs ayant contribué à la mise en mouvement de la société victorienne, il y a, d’une part, l’impact des conditions de vie de plus en plus pénibles des classes défavorisées et, d’autre part, l’essor des moyens de transport et de communication auxquels s'ajoute l'élan pris par la presse; tous ces éléments réunis ont permis aux idées politiques même les plus controversées d’atteindre tous les coins et recoins du pays.

 

L’éveil populaire et la prise de conscience militante des ouvriers, devenus la deuxième grande force sur la scène nationale après celle des bourgeois, se trouvèrent ainsi impulsés.

 

À cet égard, l’apport du chartisme dans la prise de conscience du monde ouvrier et les résultats subséquents obtenus dans le domaine sociopolitique et, de manière générale, de l’émancipation des ouvriers sont incontestablement majeurs et historiques. C’est la poussée ouvrière qui a permis aux segments les plus défavorisés de la société d’arracher des droits fondamentaux jusqu’ici difficiles d’accès.

 

Au départ, les chartistes avaient ouvert la contestation par des doléances écrites, demandant plus de droits et d’égalité entre tous les citoyens. Ils les résumaient en six points fondamentaux rendus publics dans un document appelé « La Charte », rédigé en 1838 comme projet de loi :

 

-​le droit de vote pour tous les hommes ;

-​l'égalité des circonscriptions électorales ;

-​la suppression de l’obligation de propriété terrienne comme condition au droit de vote ;

-​le payement des salaires pour les députés ;

-​les élections législatives annuelles ;

-​le bulletin de vote secret. 

 

Des milliers d’ouvriers se rassemblent autour de cette proposition, se donnent le nom de chartistes et battent campagne pour collecter les signatures de soutien nécessaires. L’opinion est plutôt réceptive et un soutien moral d’importance est accordé par Thomas Carlyle qui publie son pamphlet Chartism (1839). Il y prône le changement tout en attisant le feu de la contestation dans une atmosphère pleine de remous.

 

Les tenants de l’ordre social et des autorités du pays redoutant la révolution, à l’image de l’expérience française, ne pouvaient que s’inquiéter et ce, malgré les assurances des porte-paroles du mouvement soulignant le caractère pacifique de leur militantisme.

 

En 1839, les chartistes obtiennent 250000 signatures et envoient la pétition devant la Chambre des communes, sans succès. Un appel à la grève conduit à de nombreuses arrestations. Les militants organisent une marche pour exiger l’élargissement de leurs leaders. Les forces de l’ordre ouvrent le feu, et il y eut mort d’hommes devant la prison de Newport.

 

Sans désespérer, les militants chartistes proposent une deuxième pétition qui avait été soutenue par trois millions de signataires, mais en vain. En juillet 1847, Feargus O’Connor, surnommé ‘’The Lion Of Freedom'', est élu à la Chambre des communes, le mouvement se voit encouragé par l’élection de son charismatique leader, et la troisième pétition, celle de 1848, est de nouveau devant le parlement, mais toujours sans succès.

 

Eu égard à tant de détermination de la part des contestataires, les tenants du pouvoir se mirent, non sans tergiverser, à lâcher du lest pour ouvrir la voie à la réforme du système. Ils ont mis en place un arsenal juridique précurseur de l’ancrage des valeurs démocratiques dans les mœurs politiques nationales.

 

 

Le chartisme a engagé une grande lutte qui prit fin, sans jamais donner de résultats immédiats spectaculaires, mais il est communément accepté que l’essentiel de ses doléances était pris en compte dans les nombreuses réformes ultérieures, tout comme des concepts comme la démocratie inclusive et la citoyenneté sont considérés comme relevant de l’esprit du mouvement chartiste, preuve que son influence historique sur la vie politique et sociale nationale et à travers le monde libre est avérée. De plus, des lois constitutionnelles telles que ‘’The Second Reform Act’’ de 1867, ‘’The Representation of the People Act’’ de 1884, et ‘’The redistribution of seats Act’’ de 1885, entre autres, ensemble, ont jeté les bases du suffrage universel : ‘’one man, one vote’’, principe de base de la démocratie représentative.

 

En plus du suffrage universel, il faut évoquer l’éducation universelle sans laquelle l’émancipation des masses ouvrières n’est qu’illusion. À cet effet, the Education Act de 1870 établit l’enseignement primaire obligatoire sur financement de l'État pour tous les enfants âgés entre 5 et 13 ans. L’industrie en avait également besoin. Elle nécessite une main-d’œuvre qualifiée sachant lire et écrire et aussi des travailleurs adéquatement formés afin d’accompagner le progrès industriel qui est techniquement exigeant et s’inscrivant dans la durée.

 

Il va sans dire que l’industrialisation a conduit à la surexploitation de l’ouvrier industriel, le réduisant à une simple machine, un automate avant l’heure de la robotique, comme bien représenté au cinéma par Charlie Chaplin dans « Modern Times ».

 

Dans son film comique, Charlot, l’ouvrier d’une usine de montage, y est vu effondré sous le poids de son travail manuel déshumanisant, une tâche mécanique et ponctuelle exécutée à un rythme à rendre obligatoirement fou. C’est le taylorisme où l’ouvrier ne compte pas mais, plutôt le rendement.

 

Afin de rendre l’exploitation de l’homme par l’homme moins cruelle, les travailleurs inventent les syndicats, ‘’Trade Unions’’, chargés de défendre leurs intérêts matériels et moraux. Pour ce faire, ils engagent la bataille de leur reconnaissance légale et militent pour la réalisation des objectifs de l’émancipation ouvrière.

 

De haute lutte, les syndicalistes enregistrent quelques succès encourageants. En effet, aux termes de la loi de 1871, ‘’Trade Union Act’’, les organisations syndicales sont autorisées et aux termes de celle de 1875, la grève, jusqu’ici considérée comme un délit punissable, est accordée comme droit inaliénable. Toutefois, le point culminant de cet engagement historique fut ‘’The Great London Strike’’ de 1889, une grève générale des dockers qui avait failli paralyser le pays. Pour donner une idée de son ampleur, un journal londonien écrit :

“Dockmen, lightermen, bargemen, cement workers, carmen, ironworkers and even factory girls are coming out. If it goes on a few days longer, all London will be on holiday. The great machine by which five millions of people are fed and clothed will come to a dead stop, and what is to be the end of it all?

The proverbial small spark has kindled a great fire which threatens to envelop the whole metropolis.”

 

Le maire de Londres, ayant pris la mesure de la gravité des événements, leurs conséquences désastreuses pour sa ville et pour le reste du pays, initie une médiation réussie entre les grévistes et les patrons propriétaires des quais. À l’issue des négociations, les dockers obtiennent satisfaction sur l’essentiel de leurs doléances. Une mesure phare est même prise : un salaire minimal de 6 pence par heure est concédé. 

 

D’autres améliorations à la législation et à la réglementation du travail vont suivre comme, par exemple, le repos hebdomadaire obligatoire, et surtout la répression des abus relatifs au travail des enfants.

 

Ould Sneiba Ely. Influence politique de John Ruskin en Afrique 

سبت, 01/05/2021 - 12:05